SATPREM et moi…
Il serait déroutant de se lancer dans le Bouddhisme sans avoir parcouru préalablement quelques ouvrages dont l’incontournable « Siddhârta » d’Herman Hesse, des
fragments de traductions du sanskrit de
la Bagavadgita ou de textes védiques.
On en sort
écrasé à la fois par une culture
spiritualiste non violente et une propension à une douce violence dominatrice. La condition
humaine y est tellement fragilisée qu’elle s’englue dans la contradiction
inextricable du soi et de l’autre.Sans issue.Et que de non-dits..!
Dans cette culture,
tout semble casté –hiérarchisé .Seuls des gourous –mentors- sont habilités –en
principe -à guider les disciples dans l’ascension ou la descente vers une
conscience supra mentale, qualifiée aussi de "divine".
Bien que ces
gourous ne prétendent pas transmettre une nouvelle religion, leur objectif serait de faire office
de passerelle en vue de réconcilier l’individu avec soi même. Leur
intermédiation prive - momentanément- le disciple de toute forme d’autonomie .C’est paradoxalement
antagonique avec le but recherché, à
savoir le voyage – par étapes –à l’intérieur du moi pour –ensuite - le
transcender .Dans la sérénité de l'apprentissage...
» L’homme
n’étant qu’un être de transition «, me
confie Satprem lors d’une première
rencontre en avril 1977 dans un faubourg de Pondichéry. Socrate
avait déjà indiqué la voie dans la demeure de
l’Etre .
Et pourtant rien ne
dissuade la foultitude à en abandonner la recherche …
Ce parisien
d’origine bretonne -après avoir roulé
sa bosse – a atterri dans ce bled des Tamouls, au sud de l’Inde.
---Transition vers où ? et en est t-il de même pour
l’humanité ; demandais-je.
Mon interlocuteur
se lance dans un discours
ininterrompu mais limpide. J’en retiens une parabole et un plan. La parabole :
celle du serpent qui se bouffe la queue ( la tshina masta). Pour lui, le matérialisme
conduirait l’humanité à son auto -destruction, par une exploitation excessive
et désordonnée de l’énergie vitale et celle de l'environnement.Faudrait -il plaider pour une écologie séminale?Un modèle hippy où l'on se sert sans tout emporter..
Pour s’en
sortir individuellement ,il y a lieu de recourir ,ajoute -t-il au plan –ascensionnel à quatre
étages : végétatif- mental- sur-mental et supra mental.
A chaque
étage correspond un cursus où l’on apprend à dominer désirs et besoins par
une série de mantras et de yogas. Il
importe d’oublier l’étape précédente en
entamant la suivante et ainsi de suite –
Dans l'intervalle,vous êtes nu(e)s sous l’emprise du gourou , curieusement de sexe mâle .Pour le bouddhisme la femme n’est qu’un gué que
l’homme libéré doit-un jour- enjamber après qu’il eut débusqué l'intimité de solitude du « mental cellulaire « …
Poursuivant
sur sa lancée, Satprem qui signifie en sanskrit « le fou de
l’amour » m’a expliqué qu’il signifiait également « être suprême » ,sous entendant que l’homme, étant son propre devenir pourrait se transformer
en un être unique et... divin.Autonome pour affronter sa destinée.Soit.
Etant perméable au
dialogue ,je n’ai pas manqué de lui rappeler que dans les religions monothéistes cette
démarche s’apparente à une forme d’apostasie .Certains adeptes du
soufisme musulman -par exemple-ont
payé le tribut en y laissant leur peau.
--Par bêtise de
l’ignorance, a-t-il rétorqué en enchaînant sur les souffrances endurées par l’humanité,
à cause des interprétations littérales
et subjectives des religions.
-- Et des guerres (politico-ideologiques)
aussi…
--Oui –admet -il sèchement comme pour éviter d’entrer dans le détail des guerres dont la deuxième
mondiale qui a fait plus de 23 millions de victimes et celle du Viêtnam avec autres
cinq millions d'âmes, à jamais bousillées..
Portant les stigmates
de la 2 ème guerre dont il fut
physiquement témoin ; Satprem ne semble
pas focaliser alors sur le tragi –dramatique
de l’actualité internationale.
Son projet est autant modeste que subjectif.
Sauve qui peut et advienne que pourra ! Le commencement préfigure la fin
et celle-ci subodore un début…
En conversant
d’une voix douce, alors qu’il venait d’être chassé de l’Ashram d’Auroville ,ce lucide gourou n’a ni haine ni animosité à l’égard de ces irresponsables » imbéciles ». Tel
un prophète, il a appris à pardonner.Seuls les humains n'oublient pas les blessures invisibles.
Son corps frêle enveloppé dans une tunique blanche immaculée est
illuminé par un regard cristallin.Il rappelle le visage d’un chérubin d’une fresque à la chapelle Sixtine…Sa
chambrette au confort minimal -avec un
lit à même le sol -est bien entretenue par sa fidèle compagne
depuis 1954, Sujata Nahar, une grande dame originaire
de Calcutta. Intelligente, discrète anglophone et au sourire énigmatique.
Le but de son compagnon : terminer la rédaction de la trilogie : une
synthèse du savoir acquis auprès du philosophe et poète Sri Aurobindo (1872-1950)
et de sa protectrice Mère (Mira Elfassa)
décédée en 1973.
Satprem était plus
absorbé par « le
matérialisme divin » que par le
gain matérialiste dans un contexte où le village d’Auroville sorti du
désert s’est transformé en un projet économique et culturel rentable. Un enjeu qui attise maintes rivalités.
Il était riche dans la pauvreté,(
oxymore ) tant il est vrai que dans son mental richesse et pauvreté se
situent à un autre niveau. Tel Saint François d’Assises. La charité tout
comme l’aumône sont destinées à l’alter égo -dans le besoin. Les tenanciers des
synagogues -églises –mosquées et autres temples en font pourtant un juteux fonds de commerce …
Lors du deuxième
voyage en 1978, Satprem était confiné dans un exil( forcé). Il était intouchable .J’ai pu tout de même
visité l’Ashram et ses annexes ( matrimandir- le samadi ..),
y déposer une poignée de sable de mon
bled (Tozeur- Sud ouest de Tunisie) et fait le plein de noix
de coco .
Je regrette- toutefois- ne n’avoir pu prolonger notre conversation sur le « mental cellulaire », cette
voie royale du supra-mental.
L’orchidée
de compagnie -une Marie plutôt maculée-
m’a entraîné – le séjour durant - dans le mental physique et la visite de sites
archéologiques.
Miracle: la boule de beurre de Krishna n'a pas écrasé la mienne..La gaieté que procurent les soirées dansantes à Mahabalipuram et les temples du rivage de Canchipuram ne font certainement pas oublier l'empathie à l'égard de la misère des bidonvilles de Chennai.
Le soir des millions de crabes de la menaçante plage de l’océan indien veillent sur nos
étreintes...Même la pleine lune en était jalouse..J’avais alors 25 ans et la fougue du samsara...
Satprem – de
son vrai nom Bernard Enginger -quitte
ce monde pour le sien en avril 2007. Sujata
prend le même chemin en Mai de la
même année.
Qu'ils reposent en paix!